PAUL GAUGUIN - D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?

Publié le par N.L. Taram

PAUL GAUGUIN - D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?

Extrait de NOA NOA :

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J'allais ce soir fumer une cigarette sur le sable au bord de la mer. Le soleil arrivait rapidement à l'horizon, commençant à se cacher derrière l'île de Moorea que j'avais à ma droite. Par opposition de lumière, les montagnes se dessinaient noires puissamment sur le ciel incendié. Toutes ces arêtes comme d'anciens châteaux crénelés.

 

Vite la nuit arriva. Moorea dormait encore cette fois. Je m'endormis plus tard dans mon lit. Silence d'une nuit tahitienne. Seuls les battements de mon cœur se faisaient entendre.

 

gauguin2Les roseaux alignés et distancés de ma case s'apercevaient de mon lit avec les filtrations de la lune tel un instrument de musique. Pipo chez nos anciens, vivo chez eux il se nomme  mais silencieux (par souvenirs il parle la nuit). Je m'endormis à cette musique. Au-dessus de moi le grand toit élevé de feuilles de pandanus, les lézards y demeurant. Je pouvais dans mon sommeil m'imaginer l'espace au-dessus de ma tête, la voûte céleste, aucune prison où l'on étouffe.

Ma case c'était l'espace, la liberté.

 

J'étais là bien seul ; de part et d'autre nous nous observions.

 

Le surlendemain j'avais épuisé mes provisions ; je m'étais imaginé que je trouverais avec de l'argent tout ce qu'il faut pour se nourrir. La nourriture se trouve bien sur les arbres, dans la montagne, dans la mer, mais il faut savoir grimper à un arbre élevé, aller dans la montagne et revenir chargé de fardeaux pesants, savoir prendre le poisson, plonger et arracher dans le fond de la mer le coquillage solidement attaché au caillou. J'étais donc là, moi l'homme civilisé, pour un moment bien en-dessous du sauvage, et comme, l'estomac vide, je songeais tristement à ma situation, un indigène me fit des signes, me criant, dans sa langue : « Viens manger ». gaug lady

Je compris. Mais j'eus honte et d'un signe de tête je refusai. Quelques minutes après un enfant déposait silencieusement sur le bord de ma porte quelques aliments proprement entourés de feuilles vertes fraîchement cueillies, puis se retirait. J'avais faim, silencieusement aussi j'acceptai. Un peu plus tard l'homme passait et la figure aimable, sans s'arrêter, me dit un seul mot : "Paia?" Je compris vaguement : es-tu satisfait? Par terre sous des touffes de feuilles larges de giraumons j'apercevais une petite tête brune avec des yeux tranquilles. Un petit enfant m'examinait puis se sauvait craintif lorsque mes yeux avaient rencontré les siens. Ces êtres noirs, ces dents de cannibale, amenaient sur ma bouche le mot de sauvages.

 

Pour eux aussi j'étais le sauvage. Avec raison peut-être…

(Code recherche : DIVGAU)

Publié dans Divers

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